into the staring town cs323

 

 

 

 

 

 

 

 

Le contrebassiste Torsten Müller fut durant plusieurs années un proche collaborateur du tromboniste Gunther Christmann, un des pionniers incontournables de l’improvisation libre en Europe. Il est en fait un Monsieur Contrebasse de la scène improvisée au même tire qu’un Peter Kowald ou un Barre Phillips. On l’a entendu aussi dans King Übü Örkestrü, un « large » ensemble exceptionnel qui fédérait des improvisateurs radicaux dans les années 80/90 : Wolfgang Fuchs, Peter Van Bergen, Erhard Hirt, Christmann, Wachsmann, Lytton, Malfatti, Charig, Mazzon. S’étant établi aux USA depuis des années, les amateurs le méconnaissent. Ils pourront se rattraper en écoutant ce beau duo avec la remarquable pianiste suédoise Lisa Ullén. Toucher exceptionnel et dynamique parfaite, sens du meilleur son au meilleur moment lorsqu’elle intervient dans les cordes, goût de l’épure, cette transfuge de la musique classique est vraiment une pianiste à découvrir. Dans ce concert donné à l’International Jazz Festival de Vancouver et excellemment enregistré, la pianiste et le contrebassiste se livrent à un échange de haut vol tout en évitant un excès de technicité virtuose. Müller préfère nous faire entendre des nuances rares du travail de l’archet dans une qualité sonore boisée, humaine, expressive, presque vocalisée. La musique est aérée, spacieuse, focalisée sur la qualité des timbres de chaque instrument. Le dialogue est distendu ou resserré et le choix individuel des possibilités qui s’ouvrent à chacun au fil de l’improvisation dans l’instant est révélateur de leur spontanéité, de leur sens de l’invention et de leur intelligence musicale (talent, expérience, intuition, flair). Les excellentes notes de pochette rédigées par le contrebassiste Damon Smith sont intéressantes. Et on peut se nourrir de cette réflexion pour appréhender ce magnifique album, sûrement un des meilleurs du genre. Un des intérêts profond de Into The Staring Town est que les deux musiciens multiplient les idées de jeu, les transforment en permanence, évitant l’évidence trop facile d’exploiter trop loin ce qui vient d’être acquis, mais préférant en changer le registre, le phrasé, les sonorités, la scansion, la dynamique, la vitesse... Avec eux, les options semblent infinies et se renouvellent. Les courts instants d’attente se métamorphosent en précipitations et leurs modes de jeux se superposent dans d’infinies variations. Une réelle fraîcheur d’inspiration. Il y a une forme de courage, d’exigence sans que cette recherche éperdue soit austère. On baigne dans un lyrisme contemporain assumé et magnifique avec une aiguë lucidité. Le temps passe vite (quarante neuf minutes qu’on ne parvient à mesurer) et on ne le gaspille pas alors que cette musique est profondément généreuse dans ses figures, ses gestes, ses échos. Que dirais-je encore ? Voici un duo exceptionnel qui exploite un potentiel musical, instrumental et humain de manière aussi sensible que magistrale. Un vrai trésor. Jean-Michel van Schouwburg (Orynx)