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Le tour de force d’Irène Kepl, c’est de ne pas sonner comme la plupart de ses collègues violonistes. Nous l’avions noté dans l’étrange Sololos, voici que cela s’illustre avec évidence dans Pirouette, enregistré avec Fred Marty sur Creative Sources Recordings, le label portugais d’Ernesto Rodrigues. Voici peut-être celui qui lui ressemble le plus, se dit-on dans les circonvolutions de « Pirouette », alors que le violon a toute la raucité d’un alto tout en conservant une propension pour les aigus. Pendant ce temps, Marty fait preuve d’une sérénité olympienne : il encadre, pare les chutes, souligne les prises de risque et les dissonances périlleuses avec une douceur qui peut se transformer en une sorte de lyrisme, pendant que la violoniste s’élance comme un funambule sur l’archet.
Dans les longs morceaux qui composent cet album en liberté totale, les rôles s’inversent parfois. Sur « Salto », alors que les coups d’archet font songer à une danse primesautière dans les flaques, c’est Marty qui semble prendre le plus de risques ; habitué à jouer avec de multiples objets, il accélère sans fin, comme s’il prenait l’élan nécessaire pour assurer un saut. Kepl aussi joue de ses cordes avec des corps étrangers. Elles piaulent, deviennent revêches, mais nous entraîne dans un tourbillon. Lorsque les archets reviennent, la musique tournoie autour d’un axe qui pourrait bien être l’auditeur, surpris de la voltige.
On dira la même chose de « U-Turn » où le violon semble s’extirper des craquements de la contrebasse en rampant au sol, tentant d’éviter tous les coups de boutoir. La chorégraphie des deux solistes consiste non seulement à s’éviter, à se frôler dans un effet de masse, mais aussi à utiliser l’espace et le volume avec une certaine grâce. On est parfois dérouté, aux franges de l’ivresse, mais c’est peut-être tout simplement l’effet recherché, qui fait pression sur l’oreille interne lors d’une acrobatie. Une perte de repères salutaire qui se révèle d’une agilité hors pair pour ces musiciens qui évoluent dans des univers personnels forts où il convient de s’abandonner. Franpi Barriaux (CitizenJazz) |